La Marche Arrière du Fenwick

La culture parlons-en. Pas celle de mon jardin, néanmoins très agréable par les temps qui cours, non celle que tout un chacun cultive, celle de l'ego. Société trop individualiste, ou trop laïque dirons certains, mais constatons que le "je suis" à un succès fou. L'expression d'un certain désarroi peut-être, comme pour signifier une présence, "Je suis là"... dans un fumier de qualité supérieur qui finira par donner naissance à des fruits sans chair - allons savoir. Sans oublier qu'un engrais nauséabonde pulvérisé en permanence alimente au quotidien le terreau fertile de l'incompréhension à ce foutoir inextricable. Quelqu'un a surement déjà dit "le monde va mal, alors rions".

BENO
Mes nouveaux amis parisiens n'osent pas m'appeler Béno. Oui j'arrive de la campagne, cela ne veut pas dire que je suis illettré, mais que j'ai échangé mon atelier contre un appartement à Paris. Un vrai échange avec de vrais amis désireux de tester une vie au vert, nous avons donc gardé nos mamans mais pas nos logements. Je me sens à l'étroit mais - parait-il, je suis privilégié. Surement pour la surface, 53m2 que je partage avec ma compagne. Avec mes collègues j'ai droit à du -"Benoit par-ci, Benoit par-là", alors j'ai insisté -"pas Benoit les gars" - par chance je ne suis pas une fille, Benoite! d'où je suis béni? je hais les prénoms à signification. Alors gêné ils ont tenté quelques -"Ben, tu déjeunes?" -"non non stop, oui je déjeune, mais Ben c'est le vieux peintre niçois dont les oeuvres sont reproduites sur des agendas, c'est pas moi! appelez moi Béno merde." On a réussi à se faire inviter chez nous ce week-end, chouette! Je vais passer voir mes vieux potes.

CAMELLE
Mon mec a des idées saugrenues, la dernière: nous faire habiter dans Paris, en ce moment ! - nous sommes en Novembre. J'ai accepté récemment que le jardin de notre atelier à la campagne se transforme en cimetière végétal, la culture c'est son dada. Résultat: plusieurs tombes d'épluchures qu'il nomme ''perma-culture'' habille le paysage. Mais pour l'instant mon paysage est une rue que je vois de haut, sans ascenseur. Je ne déprime pas car j'aime Paris, surtout pour les sorties expos avec mes amies artistes, les seules qui ont du temps pour échanger sur les problèmes existentiels et je prends des notes. J'apprécie la mixité de mon nouveau quartier, ça bouge le jour et la nuit, ça change. Mon problème - et celui de mon porte monnaie, c'est l'alimentation. Plus que manger sain je veux manger ''propre'', et dans la capitale cela coute cher. Vu: il a quelques jours dans une très grande surface: 2 poulets cuits pour 2 euros, une vingtaine de ces petites choses ont manqué de me faire vomir.
Ce week-end je vais faire un tour à la campagne, je ramènerai des provisions.

BENO
27 janvier, je viens d'arriver à Angoulême. Une ville bourgeoise par excellence aux mains d'une dizaine de vieux propriétaires peureux de perdre leurs prérogatives - j'imagine, car un commerce sur trois est fermé. Et pourtant de nombreux artistes de la région aimeraient pouvoir montrer leur travail durant ces 4 jours de fêtes. De fête, pas sûr. La ''ville de l'image'' est à 37 euros, rien d'accessible de la rue, juste la pluie incessante.
Je fais parti de ces chanceux arrivé le mercredi soir. J'ai ainsi vu l'ensemble du "susceptibles de m'intéresser" - expo et dessinateurs, dans de bonnes conditions le jeudi et le vendredi. Des jours calmes en affluence et sans file d'attente. Mattt Konture et Killoffer fidèles au poste de l'Association, JC Menu en solo, Otéro qui tue Cobain, Otomo to, Corto revival, une can'arts story d'allemands. Pour voir des gens bruyants je suis passé par les offs du festival. Le Off of Off réuni Fluide Dupont, Glacial Groland, la bédé satirique. Le vendredi soir ils remettent leur prix couillu, archi bondé, des blocs de viande infranchissables. Je laisse tomber. Le FOFF est accueillant, de jour à coté du cinéma et de nuit non loin des Finances Publics. C'est la relève, futurs grands prix ou pas, pour l'instant ils sont en mode alternatif. Pas de fouille à l'entrée j'ai envie de tous les embrasser. En journée j'apprécie un des fauteuils de la salle où sont projetés des travaux d'artistes de tout genre, vidéo, animation. Une pause d'expérimental. Le vendredi soir concert-projection dans le même esprit créa-festif.
Histoire de minimiser les frais de cette escapade bédesque, l'amie d'un ami qui tiens un resto m'a proposé d'aider au service du midi le samedi et le dimanche contre une rémunération. 11h, j'enfile mon tablier et je remplie les carafes d'eau. Les premiers clients arrivent, et c'est non stop jusqu'à 15h. J'ai la dalle, il n'y a plus rien à manger, je vais au quick. 2 jours. Le dimanche 18h, objectif me faire payer. Je repasse à la fermeture du resto - bar l'après midi, -"il faut faire les comptes'' me dit-on. Entre les post-it des commandes qui jonchent la poubelle et le ruban de la caisse qui se déroule vierge, je ne vois pas bien quels sont les comptes à faire pour me filer un billet. Pas vu non plus les pourboires de la boite. Laissez vos pièces sur la table - une fois sur deux c'est le même serveur qui nettoie votre table et récupère votre monnaie dans sa chaussure. Elle m'a dit -''passe demain''. Aujourd'hui lundi c'est fermé. J'ai laissé un message. J'attends un coup de fil qui devrait miraculeusement se transformer en billet de banque. Je n'y crois pas, mon ami est gêné, et mon train va arriver. Serveur dans un resto, c'est fait.
Je repars avec une bédé, une seule, c'était mon défi budgétaire. D'une femme, la maison circulaire.

CAMELLE
27 janvier, mon mec est à Angoulême. On a tiré au sort. Il a gagné. J'ai déprimé. J'ai dessiné. Il s'est fait mouillé, arnaqué, et a joué à l'activiste en collant quelques flyers en zone ''affichage''. Il n'est pas emballé. Vive la BD.

Je suis effarée par la paresse intellectuelle ambiante, plus jolie comme expression que bêtise, cela n'en demeure pas moins à peu près la même chose. La cupidité est à son comble, plus personne n'a entendu parler de bienveillance, bienveil quoi? appelée aussi fraternité dans notre république. Prendre l'autre en considération est devenu un acte alternatif, et je finis par m'interroger sur la valeur de l'amitié. Par chance j'ai un amant. Ce n'est pas mon meilleur ami mais on échange, parfois violemment mais c'est une des variantes de l'échange. Notre activité nous rapproche, et même si j'ai du mal à faire valoir ma vision féminine dans l'approche de notre travail, cette confrontation me donne l'occasion d'être en éveil quotidiennement.
La plupart de mes amies sont célibataires, viennent de l'être, sont sur le point de l'être, ou le sont depuis maintenant pas mal de temps. Elles ont toutes de bonnes raisons: -il m'a trompé, -il m'insulte, et: -moiii je ne veux personne qui fasse des miettes. On n'est pas à l'abris d'une surprise, et il faut prendre en compte que rien n'est définitif, mais à quel moment on oublie l'autre? quelle est cette paresse intellectuelle du ''je suis tout ce qui m'arrange'', qui au final se transforme en ''je suis seul et seule''
J'emploie le ''tu es'' le plus souvent possible. Le ''ci'' ou ''ça'' qui suit n'est pas toujours flatteur, mais honnête et attentionné.

BENO
Ces quelques mois passés à Paris me semblent long au final, il me tarde de déambuler à nouveau dans mon immense atelier. Camelle déprime, seul son ordinateur l'accompagne alors elle joue avec des lettres, elle les assemble afin de leur donner une expression, un mélange d'ironie et de mal être. Loin des mots croisés que pratiquait sa mère. Elle me sourit, et me soumet une déclinaison sociale pour sa Factory: Fatal Ego, Fatal Erreur, Fatal Egaux. Elle est passée d'un "tous ego" ironique à un "tous égaux" plutôt grave, entre attentats et réfugiés. Je prends mon air malin pour lui répondre: pourquoi pas, cela nous permettra de faire un classement parmi les artistes qui nous visitent, qui viennent travailler en paix - déjeuné aussi, pension complète produits bio cultivés par moi-même. Elle n'a pas rit.
Camelle a perdu des amis/ies - comme on perd des bijoux dans le sable sans comprendre comment ils ont pu glisser de sa poche, quand elle est devenu propriétaire d'un gigantesque atelier dans le foie de la France. Au niveau du 3eme chakra - la résidence de l'égo, à droite du plexus solaire. Son objectif de départ est toujours actif: le partage. Elle me répète souvent de prendre la vie comme une énigme, énigme qui l'empêche surement de penser à pleurer. Ces quelques mois passé à Paris vont nous permettre de prendre du recule, ou de l'avance...

Quand on était entré pour la première fois dans la Fatal Factory comme propriétaire, l'urgence avait était: chercher d'où venait l'odeur. Pas de rats morts à l'horizon, horizon bouché par une multitude d'objets en tout genre, genre alibaba sans l'or. L'odeur. Jeu de piste olfactive jusqu'à une buanderie pour trouver enfin Le coupable de cette odeur nauséabonde. Un congélateur fermé, contenant un liquide demeuré trop longtemps dans le même état négatif. Plusieurs centimètres de hauteur stagnaient au fond depuis trois ans. C'était psychologiquement de loin qu'il nous avait fallu tirer le bazar hors de nos narines. Le reste était à l'avenant, Camelle avait fait des pauses clope pour ne pas vomir. J'avais résumé notre action de ce premier week-end en terme de volume, mais c'était en temps qu'il aurait fallu la résumer.
J'ai appris durant cette période de grand ménage, que surface et volume rime avec temps. Le temps dans tout ce qu'il a d'attractif puisqu'il s'agit de le prendre. Et c'est bienvenu. Plus nous sommes pressé plus nous vivons dans de petites surfaces, à portée de main. Et plus nous vivons dans de petites surfaces plus nous sommes pressé, d'aller voir ailleurs - j'imagine.

Tous les matins Camelle se lève avec une nouvelle idée pour les nombreuses pièces de sa Fatal Factory, des pièces pour s'échapper momentanément de la "real life". Sa dernière idée est de mettre en scène un Clued'art, qui a tué l'art ? Artistes, journalistes, marchands, tous sont suspects. Dans le décor d'un Casin'art, autour des tables du jeux critique, ils se renvoient la toile d'un artiste - pioché. Les cartes d'indices jouant d'objectivité ou non à chaque lancé de dé. Un passage secret mène au club échangiste d'art pour les membres avec carte alibi - si vous comprenez ce résumé j'ai compris aussi. Je pense qu'elle devrait simplement donner des cours de créativité.

CAMELLE
Mon mec marche pour rien, il va il vient. Comme pour chacun cela l'aide à réfléchir, mais là il réfléchit trop. Quand il coupe c'est à ras, quand il pousse c'est à fond, quand il parle c'est fort, quand il marche c'est non stop. A la campagne j'ai la chance de pouvoir lui offrir de la surface à parcourir, dedans, dehors, il bouge. Ces mois passés à Paris, dans un deux pièces, sont éprouvants. Le va et vient de ses deux pieds lourdement chaussés sur le sol en parquet émet un son de plus en plus obsédant pour mes oreilles, comme le manque de perspective pour mes yeux. Mes gouts n'ont pas changés. Et je n'apprécie que les odeurs des villes étrangères. Dans la Fatal Factory ont arrive à se perdre, dès la première visite on se cherchait. A l'époque de sa splendeur cette usine donnait du travaille à 128 personnes, que des femmes. Après ça un petit bonhomme avait commencé à la transformer, d'un coté bar discothèque chambre froide, d'un autre coté atelier bureau atelier, d'un autre coté cuisine salon chambres, d'un autre coté j'apprécie. Avec plusieurs centaines de m2 j'ai trouvé le moyen de dire un jour à Béno: -tu trouves pas qu'il manque une pièce? C'est devenu une blague qu'il raconte. Par la suite, quand il avait fallu tout remettre en état il ne me manquait plus rien. Pendant les travaux on campait sur le terrain, j'avais ma pièce en plus.
J'avais rapidement cessé de me demander à quoi j'étais allergique. A tout. Les colles, les solvants, les poussières, les premières nuits passées à l'intérieur me défiguraient chaque jour des yeux et des sinus. Hier dans le métro, j'ai vu un homme avec les poils du nez tellement long que lorsqu'il souriait ses poils formaient sous son nez une moustache à la Hitler. Rien à voir. Ou alors si, me laisser pousser les poils du nez pour condamner l'entrée de mes narines, c'était peut-être la solution à laquelle je n'ai pas pensé à l'époque.
Epoque des araignées glissantes et traversantes, et des moustiques au top de leur forme. Les bois aux alentours étaient gorgés d'eau stagnante suite à un printemps extrêmement pluvieux, et rien ne s'évaporait. Sauf moi, sous ma tente.

BENO
Notre premier été fut de labeur et de chaleur. Démonter remonter, les murs, les sanitaires. Seule la cuisine était fonctionnelle et nous permettait de travailler le ventre plein. Et quel travail ! des longueurs à n'en plus finir sur des largeurs qui s'enchainaient. Camelle avait décidé d'ouvrir et de refermer l'espace en conservant la base des fractions existantes, pour changer la matière morte - selon elle, qui servait de cloisons. Au final pas grand chose n'avait changé visuellement, mais il faut reconnaitre qu'une odeur de vie s'était installée dans les pièces après cette manip de força. Mon compagnon de chaine s'appelait Rascal, un costaud issu des chantiers franco-russes. En 1 mois sur le chantier de ma douce il avait perdu 3kg. Que du gras, forcement.
Le mois suivant fut plus difficile, l'usure des mouvements répétés sur notre corps faisait jaillir nos muscles, nous devenions fort. Notre binôme masculin était en fait un trio mixte, Rascal ne travaillant qu'avec sa toute jeune femme - du pays, enceinte et donc d'une inutilité croissante. Mon acolyte mettait les bouchées doubles pour justifier le prix de leurs deux journées, jusqu'au jour où Camelle avait aperçu notre partenaire féminine - au deuxième abord, toute la matinée les bras croisés dans la poussière et le bruit. Elle avait demandé à Rascal de venir seul le lundi suivant, on ne les avait jamais revu. Par chance le plus gros du travail avait été fait, mais cette rupture brutale de Rascal - qui pouvait comprendre que sa compagne n'avait plus rien à faire sur le chantier, m'avait tourmenté. Camelle moins, elle n'était plus obligée de se lever à 8h, et elle faisait des économies…

CAMELLE
Avec mon mec, soit c'est noir soit c'est blanc, aucunes nuances de gris dans son jugement. Du coup j'ai adapté cette façon de voir à la décoration de la Fatal Factory, tout est noir et blanc. Et gris pour lui rappeler de temps à autre que les nuances existent, afin qu'il module son enthousiasme ou sa colère. La déco était venue bien-bien après -la poussière: on avait changé les murs, -le bruit: on avait scié du bois percé des trous visser dévisser, et -les courbatures: on avait porté poussé escaladé, pendant des mois. Une usine. Avec l'esprit de labeur. Pour Béno ce fut tout bénéfice, l'équivalent d'un centre de remise en forme. Deux mois d'un effort physique intensif lui avait re-sculpté un torse sur le point de s'avachir. Il s'expose maintenant volontiers torse nu, pour faire râler ses potes.
Notre chance c'était l'été. Pas une goutte de pluie sur la terre du milieu pendant deux mois. La douche était installée à l'extérieur, sous le portique à balançoire. Un paravent, un seau d'eau, une casserole, deux mouches et une abeille déshydratées nous servaient d'accessoires. L'herbe était tellement rase et jaune que l'on se serait cru à la plage. Le soir nous attendions le vent d'ouest, souvent plus puissant, pour nous rafraîchir. On aurait dit le Sud.

BENO
Camelle m'a dit un jour "si cette usine n'était pas chez moi, je serais jalouse". La démesure ne l'effraie pas, au contraire. On parle de volumes bien sur. Moi c'est taille M, avec un besoin de perspectives. Au fond du jardin on voit les 6 éoliennes de la commune, Camelle aime ça, elle n'apprécie pas le coté vieillot de la campagne et se réjouie de cette touche XXIème siècle dans le paysage. Elle tiens le futur à l'oeil. Mais rien à voir avec les milliers d'éoliennes installé dans le désert de Californie dont elle se sert pour référence. USA la démesure.

CAMELLE
A l'automne notre salle de bain était en partie carrelée, en partie car la baignoire était toujours dans le couloir. Pas de robinets à vue sous la douche, pas de plombier à vue non plus. Il ne répondait plus. l'OSS du PER n'avait pas l'intention de nous redresser le cumulus. Eau froide à tous les étages. Avec ma bassine et ma bouilloire j'avais été envahie par la haine pour quelqu'un que j'appréciais. J'avais eu envie de le secouer par la chatte pour fêter l'ouverture de la chasse.
Cette année, la chasse à l'électeur se fait au rythme du duel Clinton-Trump. La peste ou le choléra. Le choléra est élu le meilleur chasseur de têtes pour 4 ans. Un vieux blond milliardaire, Oncle Picsou. Résultats en direct, commentaires sur ce pied de nez, rires de dérision et grinçants. Ami de Poutine c'est bien joli. Conflits d'intérêts comment il fait. Ségrégation sociale et raciale -ale. Avec Béno nous sommes animés par la curiosité autant que nous l'étions par le froid ce premier automne passé à Fatal Factory, réveillés de bonne heure par la tempête et le chant des gouttes d'eau qui tombaient dans les bassines.
C'était aussi la saison pour faire le point sur les graines à semer, Béno frémissait devant ses petits paquets qu'il secouait de droite à gauche comme des maracas. Graines rares, variétés disparues - il va bientôt nous construire une chambre forte souterraine et faire concurrence au Svalbard Global Seed Vault. Il aime la terre comme un urbain, idéologiquement. Il commençait à pratiquer et j'attendais avec impatience les premières récoltes, la terre est généreuse.

BENO
On aurait pu croire à une blague mais fin septembre le plombier-électricien avait disparu, vraiment. On était en décembre, à quelques jours de Noël. Le cumulus était étendu par terre, il narguait la bouilloire qui surchauffait. Camelle avait les cheveux sales et la coiffeuse du village était surbookée. Et enceinte. Le village possède une école de plusieurs classes. D'après ce que je comprends, à partir de mille habitants la vie continue. Il y en a mille sept cette année. Un médecin - oh miracle, donc une pharmacie et forcement un bar tabac jeux, en face. Deux boulangeries bof et un boucher toujours fermé. Le maire fait tourner un garage à l'ancienne, et nous a annoncé pour bientôt: la fibre. Du haut débit pour connecter les villages au monde, toute une population qui va enfin découvrir sur son ordinateur autre chose que la page loading. La Poste et la salle des fêtes sont groupées autour de l'Abbatiale. Mais the place to be, c'est le bar-épicerie d'Aline. A 500m.
La première fois que l'on s'en était approché et entré, c'était pour un concert devant, sur la place. Le bar assurait les boissons et le menu unique sur la terrasse, j'avais testé pour éponger. Bonne musique, Camelle souriait. Elle avait repéré une brochette de "dame" assise genoux serrés. Elles pouffaient, se délectant de la maladresse d'un pauvre homme complètement saoul et qui venait de faire tomber son ragout sur ses chaussures. Elle les imaginait quelques années plus tôt en rang d'oignons travaillant et pouffant à l'usine. La plupart des habitantes du village ont passé une semaine ou plusieurs années dans notre factory. La confection textile c'est une affaire de femmes. L'affaire des hommes c'est la picole. Notre seconde excursion dans le bar-épicerie d'Aline nous l'avons fait le 31 décembre aux alentours de 18h, après une semaine en mode bucheron - une belle remise à niveau des grands arbres qui entourent l'usine. Du coté bar, en cet fin d'après midi il y avait - on l'appris par la suite tout en buvant : Bruno et Thérèse - avec les prénoms on devine facilement les années de naissance. Et les sans prénoms: le raciste ouvertement, le gros avec sa femme dans le dos - pas souriante la meuf, qui comptait les verres pour que son mari ne dépasse pas le troisième. Et deux petits gros dont un en savates par -3º. Et le mari de la patronne, Antonin tout sautillant. Tout ce petit monde accoudé au comptoir, sauf Aline accoudée aux bouteilles de l'autre coté.
En peu de temps leurs conversations s'étaient faites plus agitées. Se retournant l'un après l'autre pour nous prendre à partie et nous faire participer. De la musique, quelques pas de danse, Aline passait d'un coté, de l'autre, ils finissaient tous par parler très fort. A notre table, on souriait, on riait, comme au spectacle. Mon deuxième verre venait de m'être offert, et Camelle pour faire plaisir s'était risquée sur un demi panaché - après un thé. Camelle ne boit pas, ne boit plus, son corps refuse, et elle s'en porte mieux. Moi aussi, elle me ramène à la maison. Le raciste avait voulu faire le malin sur une table ronde de bistrot, il s'était éclaté le cul par terre. Il était parti sans dire au revoir. Les gros étaient partis en saluant de la main, ils tenaient debout il n'était que 19h 30. Bruno s'était rapproché de nous pour une conversation plus personnelle, conversation répétitive, syndrome de l'alcoolisme. Camelle est toujours curieuse les 15 premières minutes et dès que le disque play again elle décroche. Pour faire diversion elle s'était levée pour gagner le bar libéré des gros, et apprécier la bonne humeur ambiante diffusée par les autres fêtards présents ce soir là. Elle connait bien les bars et leurs pilliers. Son père a rencontré sa mère dans un bar, elle était serveuse et il buvait. Camelle est issue d'un cocktail de sperme. Très jeune, elle accompagnait son père au bar à l'heure de l'apéro du soir, arrêt obligé tous les jours de l'année avant de rentrer à la maison. Il commandait en rigolant "- un blanc monsieur Blanc !" m'a raconté Camelle. Elle faisait partie de ses gamins qui restent à l'étude jusqu'à pas d'heure et que le père récupère en dernier. De longues minutes d'attente seule et souvent dehors. Elle devait apprécier la chaleur du bar où son père l'emmenait ensuite, tout le monde y était gai et les effluves d'alcool devaient davantage lui plaire que l'odeur de l'eau bénite et le froid qu'elle ressentait dans la chapelle de l'école. Elle les connaissait tous, toujours les mêmes à la même heure qui se tapaient dans le dos et parlaient fort - plus tu bois plus t'es sourds? La fin d'une journée de travail. Elle savait que cet arrêt de deux ou trois verres allait rendre son père plus joyeux toute la soirée et cela lui plaisait bien. Elle souriait.
Pour le dernier jour de l'année mon verre n'était jamais vide, je ne savais plus qui payait la tournée, mais vers 20h 30 je parlais fort et je racontais ma vie à Aline et Antonin. Tous les deux la trentaine sympathique, ils avaient l'air ravis de mes histoires. Camelle de son coté était accaparée par Bruno qui repassait sa vie en boucle, entrecoupé par Thérèse qui commençait toutes ses phrases par " je vais pas bien mais…". A 21h j'étais complètement saoul, le pastis me sortait par le nez, je m'accrochais à Camelle. Tout le monde s'était embrassé en se donnant rendez vous le lendemain midi, je n'avais rien promis, à mes nouveaux amis. Je rentrais titubant au bras de ma belle, mon guide. J'avais emmergé l'année suivante à 3h du mat pour aller vomir dans le jardin, Camelle me l'avait bien précisé avant mon coma éthylique: pas dans les toilettes.
Par chance, cette année là Camelle avait un réveillon d'avance, elle pensait au prochain avec douche chaude. Elle imaginait ses amis parlant dansant rigolant - vivement.

CAMELLE
Plus d'un an à Paris, plus d'un an de commémorations, et de sacs ouverts à l'entrée de chaque magasin, ou musée. -Non vous ne trouverez pas de camion dans mon sac à main. Juré craché. Mais on ne crache pas, on sourit au costaud qui se tient les jambes écartées devant vous. Du personnel au rabais - toute la france connait son misérable salaire grâce à des émissions tv: enquête au coeur… Une personne qui mérite bien notre bonne volonté à ouvrir en grand nos fourres-tout - un concentré de vie sans âmes de destruction massive.
Avec Béno nous avons refusé le passage obligé Place de la République, les nuits debout assis couché, on a pas bougé. On n'est pas tendance.
Plusieurs mois que mes oreilles souffrent. L'automne-hiver made in France me convie à la nouvelle collection des "avoir plein de choses à dire", ils sont plein. A avoir les yeux plissés quand ils nous regarde dans l'objectif, comme si à chaque mot prononcé ils s'enfonçaient plus profond en nous par derrière. Un coup à droite un coup à gauche. Il y a ceux qui manque pas d'air à vouloir se présenter, ou se représenter devant nous. Les repris de justesse par la justice. Les séparatistes qui mangent la soupe froide du moi-moi. Et ceux pour lesquels j'invente le titre d'une fable "le beau parleur, l'électron libre et les fantômes". J'ai oublié la princesse car ce n'est pas un conte.

BENO
Camelle n'aime pas le vert, alors sa saison de prédilection c'est l'hiver et le graphisme des branches nues sur n'importe quel fond, bleu gris blanc. Plus les arbres noirs sont givrés de blanc plus elle est heureuse - elle est givrée. Sinon l'été, les blés jaune et le ciel bleu sont agréables à ses yeux. L'automne la rend gai par ses roux - la couleur de ses cheveux, elle a l'impression de se fondre dans le décor. Surtout ne lui parlait pas du printemps ou alors seulement pour évoquer ses tulipes noires.
Notre séjour à Paris s'éternise, Camelle s'adapte mieux. Elle aime l'architecture et les nuances de gris, alors Madame est servit.

à suivre

Récit à deux tetes. Et combien de cerveaux ?
La Marche Arrière du Fenwick est l'alarme insupportable et automatique qui signale une marche arrière sans vision et donc potentiellement dangereuse. Le duo s'interroge, comment faire exister le passé sans danger et en marche avant.

CAMELLE CICEBO & BENO LEURRAIT, AUTEURS FICTIFS. LEUR GRAND JEU ? S’AMUSER AVEC LES LETTRES.

L’un les relie et les aligne pour former des mots, puis des phrases. L'autre les isole et les disperse, puis les assemble pour créer des expressions visuelles. Un team engagé ou enragé qui lache des signaux souvent mordants, toujours tordants.

Ce récit est écrit et publié en temps réel
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